ESPACE FRACTAL

Si l’on considère que l’environnement n’est perceptible que de manière isolée alors, du monde, nous n’enregistrons qu’une vision parcellaire, fragmentée. Lorsque Réjane Lhote tente d’apprivoiser les espaces qui l’entourent, elle est nécessairement contrainte d’adopter un point de vue, d’opérer une sélection. Elle scanne alors le lieu, radiographie son squelette interne et enregistre la manière dont il s’agence. Elle décloisonne et déploie les murs, les met à nu, les couche à plat sur le papier. Cette topographie des lieux se décline en un répertoire de formes. Visible dans des carnets à dessin, elles sont ensuite transposées à l’échelle d’un dessin mural.

Ces signes prennent l’aspect de formes noires très denses, dont les arrêtes tranchantes se heurtent au vide des murs blancs. Ces représentations d’espaces fragmentés sont fragiles, en tension, elles menacent de rompre. En ce sens, les dessins de Réjane Lhote vacillent entre synthèse et possible désarticulation. Ils naissent de stratégies d’espacements, de décalages et d’inversions. La forme qu’elle donne à voir sur deux niveaux est au bord, en suspend, et le vertige nous guette. Le spectateur expérimente ainsi cette situation paradoxale qui consiste à découvrir en deux temps un dessin qui se déploie sur deux espaces.


Justine RICHARD
le Radar, Bayeux


//
Le travail de Réjane Lhôte est "hanté" par l’architecture, non pas une architecture considérée comme statique et immuable mais, selon ses propres mots, comme "articulation fluide de lieux et d’espaces". Son objectif est d’exprimer la "charge émotionnelle" d’un lieu en traduisant la sensation qu’elle ressent devant un espace qu’elle habite, dans lequel elle se déplace ou qu’elle traverse.
Elle le décompose et recompose, en fonction non pas seulement de ses yeux mais de son corps tout entier, devenu seul étalon de mesure de l’univers. En ceci, ses œuvres sont éminemment subjectives, en opposition radicale avec l’approche objective des cubistes.
Elles sont aussi fortement antimatérialistes : chez Réjane Lhôte, le corps, la perception et l’esprit priment sur la matière. Elles font aussi écho au relativisme de Platon, dans son "Protagoras" : "l’homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas."

Réjane Lhôte révèle et cultive les auto-similitudes pour nous livrer un univers de fractales qu’elle développe au sein de la même composition ou dans des séries de dessins. Chez elle, l’espace devient organique, chacun de ses modules se comportant comme une cellule, au sens biologique de ce mot. L’architecture devient alors extension d’un corps libre de ses mouvements, celui de l’artiste.

Ses dessins et ses pièces en céramique, se présentent comme des variations sur la déclinaison d’un volume habitable qui serait, selon les circonstances, projeté, plié, déplié, décalé, basculé, ouvert, refermé, emboîté… Leur succession propose un cheminement, comme une visite guidée en forme de découverte de champs inédits. Ils incarnent, selon elle, le point de convergence et de circulation entre le corps et l’architecture, entre l’intériorisation et le déploiement. Le spectateur est ainsi invité à sans cesse redéfinir sa place, son rôle, à prendre position – dans les deux sens de cette expression – devant ces propositions qui l’interpellent, le séduisent, mais aussi le déstabilisent.


Louis Doucet


//
Mon travail regarde l’architecture, observe les espaces que nous traversons, parcourons, habitons. Il tente de saisir ces espaces qui adviennent par nos déplacements, par nos mouvements. Par la pratique du dessin, j’ouvre et recompose l’espace architectural.

Pour l’exposition CONTREFORMES, je m’approprie la galerie du Haut Pavé dans son ensemble, tout à la fois contenant et contenu. Dès l’extérieur, un dessin mural à la perspective distordue interpelle et guide notre regard et notre corps, l’invite à circuler dans l’accrochage. Le dessin mural transforme, déplace, joue avec les perspectives et articule l’espace d’exposition de manière à instaurer un dialogue entre les dessins, le spectateur et le volume de la galerie. A l’espace physique qui se propose, toujours instable car constitué de points de vue multiples, de régimes de représentation contradictoires (espaces illusionnistes et schématiques), répond l’espace mental du spectateur. L’activité du regard, son ajustement et sa tactilité, n’octroient jamais la résolution de cette organisation problématique, mais permettent de trouver des cohérences fragiles et parfois éphémères.

Chaque série de dessins est également une suite de déclinaisons et de variations graphiques ; le cheminement d’une forme, dans ses configurations incessantes, où se joue constamment la forme et la contreforme. Le dessin n’étant jamais qu’un état, le gel d’un mouvement en cours, une transition en quête d’équilibre.

Chaque format pense, répond, discute avec l’autre format de la série. L’un existe avec l’autre. Ensemble, ils s’agencent, s’emboitent, s’imbriquent, s’articulent afin de construire un espace fractal inédit. Il repense continûment le rythme et l’intervalle entre les choses, amenant le regardeur à redéfinir constamment sa place et sa relation aux propositions qui lui sont faîtes.

Geste autant que pensée, mon dessin est la partition musicale d’une architecture organique, une architecture pensée comme une extension du corps.

Réjane Lhôte


//
Plus loin sur le même couloir, se trouve le petit atelier de Réjane Lhote.
Des multiples dessins sur les murs, évoquant des espaces et des lieux imaginaires. Des auto-portraits observés au miroir et dessinés au crayon. Il y en aurait peut être plus de trente, presque la même pose, avec le même type de crayon, le même format, mais avec une multitude de variations des attitudes et des expressions. Le dessin est rigoureux, on comprend qu’il transcrit fidèlement ce que perçoit du modèle l’artiste à chaque fois. C’est en quelque sorte la règle du modèle vivant.
Particularités : toujours le même modèle, l’artiste est son propre modèle. Que pense-t-on quand on dessine un modèle ? Le plus souvent à bien faire, c’est à dire à capturer une attitude, une ressemblance. Pense-t-on autrement quand on est soi-même le modèle et que l’on reproduit l’expérience une trentaine de fois ? Je crois que l’on espère toujours saisir l’insaisissable, et qu’à chaque fois on en retire des bribes fugitives.

Réjane dessine à gros traits noirs des escaliers sur de grandes feuilles blanches, ces escaliers qui ne viennent de nulle part, montent quelques marches, tournent et disparaissent derrière un trait. Notre esprit suit ces marches et se dissipe dans le néant de la page blanche. Il subsiste cette impression d’un chemin impossible vers un ailleurs qui ne nous est pas donné.

Réjane dessine sur des carnets qui se déplient en soufflet sur des mètres. Chaque carnet est un voyage dans les évolutions d’un dessin chevauchant de page en page dans une cyclothymie de lumières, de sombres, de rouge, de gris, d’aplats, de fils de laine, de personnages. Le dessin construit ainsi un rapport au temps bien moins conventionnel que celui du découpage de la bande dessinée ou du cinéma. Dans les carnets de Réjane, le temps n’a ni début, ni fin, le regard glisse d’un endroit à l’autre construisant tantôt un panorama, tantôt une atmosphère, sur le tranchant d’un trait ou d’une ombre.

Réjane Lhôte par Attila CHEYSSIAL


//

Voir l'article de Leon Mychkine : https://art-icle.fr/?p=702>


//

Lire l'entretien donné sur singulart : https://blog.singulart.com/fr/2017/06/29/rencontre-avec-lartiste-rejane-lhote-dessinatrice/


//
Le travail de Réjane Lhôte s’intéresse à la charge émotionnelle d’un lieu. Il traduit en dessin une sensation ressentie face à un espace - paysage, architecture, pièce, objet. Sa recherche se concentre sur la compréhension d’un lieu perçu par le filtre du corps, entre analyse technique du dessin et la réception du sensible.
Qu’elle intervienne directement sur la surface des murs ou plutôt sur papier, par la pratique du dessin, Réjane ouvre et recompose l’espace architectural. A ses yeux, le dessin incarne le point de convergence et de circulation entre le corps et l'architecture, entre l'intériorisation et le déploiement.

Dans la série de PORTRAITS commencés en mars 2015, Réjane Lhôte propose une mise en abyme de son corps mis en mouvement par le dessin. Dans chaque composition, le corps réel est en creux dans le corps figuré, où seul le visage modelé en couleur se détache des strates de gris du buste. Les absences matérialisées sur le papier sont en fait les contours du corps qui dessine, irruption à la fois physique et spectrale du réel dans la représentation.

C'est un enjeu similaire — la confrontation corps-espace, organique-géométrique — qui sous-tend l'installation LONDON, Office : in situ, l'artiste investit l'ensemble d'une pièce mansardée, rejoue ses perspectives et apaise ses volumes. La tapisserie décollée, les interventions graphiques sur les surfaces murales et au sol ré-équilibrent les tensions visuelles présentes dans le lieu. Au mur, quelques dessins reprennent la dynamique de cette pièce. Variation autour d'un volume qui a été plié, déplié et replié, le dessin préserve les textures et les formes amenées à disparaitre une fois l'immeuble détruit.

La série, le multiple, la variation est un élément important dans le travail de Réjane Lhôte.
Lors d'une courte résidence, elle est invitée à prendre pour objet d'étude une cabane de jardin installée dans un loft de Londres - LONDON, Shed. D'après une description orale, sans avoir vu ce lieu, Réjane Lhôte essaie de comprendre ses volumes. Afin de se familiariser avec cette cabane, elle la dessine, elle imagine ses mesures, sa présence dans l'espace domestique. Par la répétition se croisent le déjà-vu — le connu — et le jamais-vu permettant le surgissement et la transformation de cet objet mental.

Geste autant que pensée, le dessin de Réjane Lhôte est doux, incisif, coupant. Il est la partition musicale d'une architecture organique, une architecture pensée comme une extension du corps.



Réjane Lhôte vit et travaille à Paris. Diplômée de l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, Réjane a obtenu des bourses et des résidences d'artistes en France, en Espagne, en Chine et en Inde.